L’influence du jeu de rôle sur le comportement

(Matthieu GRALL & Michaël RÉMUS, Mémoire de techniques d’expression, 1995)

Introduction

Par suite à de récents événements, le jeu de rôle et les joueurs le pratiquant ont été projetés au centre de la polémique en très peu de temps.
Cette pratique consiste en un dialogue entre plusieurs personnes qui incarnent, sous la direction d’un meneur de jeu, des rôles dans une aventure ou une certaine situation. Elle s’est beaucoup développée en France depuis quelques années, mais des idées reçues à son propos ont toujours assombri son image. De tragiques incidents et la manière dont ils ont été décrits ont amplifié le phénomène et beaucoup se demandent à présent si le jeu de rôle n’est pas nuisible à la santé mentale de ceux qui le pratique.
Une telle accusation n’a pu que stupéfier les joueurs pour lesquels une quelconque influence néfaste est inimaginable. Il leur paraît impensable que les problèmes évoqués soient dus au jeu de rôle et que les gens puissent le croire. Il nous a donc semblé indispensable de réagir face aux interprétations insensées que beaucoup dégagent, le plus souvent à cause d’une mauvaise information.
Après une présentation des jeux de rôle, il sera nécessaire de s’intéresser aux reproches qu’on leur fait et aux réponses que l’on peut donner à toutes les accusations dont ils sont la cible. On pourra alors montrer l’intérêt et les bénéfices de la pratique de tels jeux.

Présentation des jeux de rôle

Une activité ludique

On pourrait définir le jeu de rôle, en tant qu’activité ludique, comme une pièce de théâtre improvisée. Le maître de jeu prépare un scénario avec un objectif que devront accomplir les joueurs. Contrairement à un film ou à une pièce de théâtre dans lesquelles les rôles et dialogues sont écrits d’avance, ils donnent vie à leur personnage comme ils le souhaitent. Ils écrivent l’histoire au fil de leur évolution en intervenant oralement pour décrire leurs actions au meneur de jeu.
Il s’agit avant tout d’un jeu de société, mais dans lequel il n’y a ni gagnant, ni perdant. Le but est de faire progresser son personnage, afin que son expérience acquise se répercute dans ses actions futures. Le tout est géré par des règles précises déterminant l’univers de jeu et les possibilités d’évolution des personnages, avec un grand souci de réalisme. Des dés sont presque toujours nécessaires pour accomplir certaines actions et introduire le facteur aléatoire dans le déroulement d’un scénario durant plusieurs heures.
Du médiéval-fantastique avec Advanced Dungeons & Dragons à l’épopée spatiale telle que Star Wars, en passant par l’horreur où L’appel de Cthulhu est un jeu de prédilection, les thèmes sont très diversifiés et des centaines de jeux existent déjà. De plus, beaucoup de joueurs créent leurs jeux et certains s’adonnent aussi à des activités liées au jeu de rôle, mais fondamentalement différentes. Les jeux de plateau ou wargames ressemblent plus aux jeux de société, et les jeux en grandeur nature sont une adaptation des jeux de rôle avec une implication physique qui concrétise l’imagination des participants.
C’est la curiosité qui mène le plus souvent les adolescents au jeu de rôle. Ils connaissent des personnes qui y jouent, essaient avec eux et deux cas se présentent majoritairement : soit ils adorent et continueront pendant des dizaines d’années avec des choix de jeux différents bien sûr, soit ils détestent et ne prendront pas même la peine de réessayer. C’est pourquoi la première approche est décisive et les opinions sont toujours aux antipodes les unes des autres.

Son utilisation dans le milieu professionnel

Les jeux de rôle de formation et de sélection

Le jeu de rôle de formation et de sélection trouve son fondement théorique dans la notion de rôle social (socioprofessionnel), de systèmes d’interactions et de contexte de situation et d’attentes de rôle. Un rôle social est une position investie de droits et de devoirs dans un ensemble de rôle, d’où une implication d’attentes, des autres partenaires. Cette place met donc a la disponibilité de l’acteur une capacité stratégique, limitée par les contraintes de l’environnement. Jouer un rôle social s’est s’adapter à un ensemble d’éléments contraignants pour atteindre un objectif fixé dans la définition du rôle social. On conçoit donc qu’il s’agisse plus d’apprendre des comportements afin d’assumer une fonction qu’autre chose.
Selon K. LEWIN cité par Alex MUCCHIELLI dans Les jeux de rôle, se basant sur le fait que la position de leader est déterminante au bon fonctionnement de toute société, la réalisation d’un jeu de rôle de formation passe par la mise au point de situations d’animations, où l’animateur tiendra le rôle de leader démocratique, meilleur rôle de leader posé par LEWIN. La réussite de l’animation sera caractérisée par l’observation de la conduite procurant, le plus de satisfaction aux autres membres du groupe, favorisant ainsi les relations du personnel, après, et l’échec par l’observation de la conduite amenant le moins de satisfaction, favorisant les tensions entre personnel. Deux types de jeux de rôle peuvent être alors mis en œuvre :

  • afin de faire acquérir l’attitude de respect d’autrui, par exemple un groupe a pour tâche de trouver des idées sur un problème, chaque membre est a égalité de statut et avant d’exprimer son point de vue doit reformuler ce qui a été dit par le précédent ;
  • soit afin de faire acquérir des synthèses neutres des idées d’autrui : toujours dans un groupe l’animateur doit dégager les opinions qui s’affrontent sur une étude de cas en présentant des synthèses des dires et en formulant des décisions, le tout en accord avec les participants.

Dans un jeu de rôle de formation, le jeu doit répondre à des critères précis :

  • cela doit être une mise en scène concrète faisant appel a un cas réel authentique ;
  • le jeu fait appel a une situation totale complexe dont les éléments sont présentes dans un document qui définit la situation, tous les faits la concernant sont présentés ;
  • le jeu représente une situation-problème qui appelle, pour les acteurs, une solution ;
  • la solution de la situation-problème mise en scène est un rôle approprié à tenir.

Le déroulement se fait alors comme dans un jeu de rôle ludique :

  • le moniteur présente le premier scenario, délimite la situation et les personnages en termes généraux : le lieu, le moment, les conditions de la situation, les statuts sociaux, les rapports entre les acteurs sont évoques verbalement ;
  • les acteurs présentent leur rôle, la façon dont ils vont faire évoluer leur rôle et les difficultés auxquelles ils auront à faire face.

Le jeu se déroule alors avec une durée variable de dix a vingt minutes, et s’il y a empêchement de progression de jeu, celui-ci sera repris avec un autre acteur.
Il faut bien voir que les jeux de rôle de formation mettent l’accent sur les tâches de rôle, les structures et les mécanismes sociaux, plutôt que sur l’interprétation personnelle d’un rôle. Ce type de jeu de rôle a ici une visée pédagogique de sélection professionnelle.

Les jeux de rôle comme méthode de pédagogie active

Les méthodes actives ont cinq caractéristiques essentielles qui servent à toute organisation d’un enseignement par méthode active :

  • elles mettent en œuvre l’activité du sujet. Les élèves doivent faire preuve d’initiative et d’activité pour découvrir ce qu’ils ont à apprendre ;
  • du fait de l’activité et de l’implication des sujets, les méthodes actives utilisent les motivations internes et personnelles, l’acquis sera davantage intégré et ne restera pas un savoir intellectuel ou un souvenir ;
  • elles mettent en œuvre l’utilisation des phénomènes de groupe, grâce a la participation demandée au groupe ;
  • elles mettent en œuvre de nouvelles formes de contrôle : auto-évaluation des individus et des groupes par rapport aux objectifs pédagogiques fixés.

La mise au point de ce type de jeu passent par décomposer la matière de l’enseignement dans ses éléments simples, les rendre sensibles et accessibles par l’expérience, enfin les mêler intimement a l’existence de l’éduqué.
Du jeu à visée pédagogique on distingue les jeux de sensibilisation, ce sera cette expérience personnelle qui va faire prendre conscience au sujet, au travers d’une scène les phénomènes pour lesquels on veut le former et les jeux de simulation qui traduisent une situation concrète, construite sur un modèle dont les caractéristiques reproduisent les conditions communes à un ensemble de situations réelles.
Le déroulement du jeu se fait comme pour les jeux de formation, l’animateur jouant ici deux grands rôles, celui d’informateur sur le jeu et les imprévus pouvant arriver et celui de régulateur-animateur du groupe en formation.
Après la fin du jeu et l’exploitation des résultats, il animera la séance de mise au point dans laquelle il récapitulera l’expérience acquise au cours de la simulation et formulera clairement ce qui a été appris.
Les jeux de rôle pédagogiques sont donc assez proches des jeux de rôle de formations et de sélection, leur valeur pédagogique dépend essentiellement du modèle élaboré, du cas concret trouvé comme support, du matériel de réalisation du jeu, de l’adaptation des difficultés traitées aux capacités du groupe et de la qualité de l’animation.

Le jeu de rôle psychologique

Autre type de jeu, celui-ci comprend le jeu de rôle à finalité thérapeutique et le jeu de rôle de sensibilisation psychologique ou de formation personnelle (voir plus haut).
Le jeu de rôle thérapeutique consiste en la mise en scène d’un acteur jouant son propre cas dans la vie. Les participants (10 à 15) à des séances de jeux de rôle peuvent être volontaires, comme dans les séminaires de communication, d’analyse transactionnelle, de jeux de rôle ou de psychodrame. Les séances peuvent aussi trouver place dans des institutions psychiatriques, éducatives ou autres et, dans ce cas, les publics ne sont pas toujours informés.
Le meneur de jeu doit tenir compte des a priori du groupe des participants et de moduler ses interventions en conséquences, la séance de jeu se déroule comme suit : présentation des participants, des moniteurs, d’exemples anodins d’exercices, interview du groupe sur ses représentations, ses peurs ou inhibitions, puis interview sur ses désirs, ensuite choix du scénario en accord avec les participants et mise en jeu par des volontaires et finalement recueil des impressions des acteurs et du groupe après la partie.
Le jeu de rôle psychologiques sert fondamentalement à révéler aux acteurs du jeu leur constantes dans leur comportement et interprétation de celui-ci, prise de conscience qui doit être poursuivie par un travail psychothérapeutique qui doit rendre a la personnalité une certaine capacité de spontanéité créatrice de conduites nouvelles, ce que nous analyserons plus loin.
On peut donc distinguer deux aspects totalement différents qu’il faut absolument dissocier car dans le cadre professionnel, contrairement à l’activité ludique, les rôles sont imposés. Le jeu de rôle en tant que jeu n’est qu’un loisir comme un autre.
On peut alors se demander pourquoi cette activité a pu être incriminée, et comment il est possible de prévenir ou résoudre d’éventuels problèmes.

Le jeu de rôle sur le banc des accusés

Les jeux de rôle ? Ce ne sont pas ces jeux dangereux qui…

Nombreux sont les préjugés qui entourent les jeux de rôle ludiques, les groupes d’amis qui se forment pour des parties sont assimilés à des sectes, conduites par le gourou, le maître de jeu bien sûr, qui les déconnectera de la réalité, afin de les rendre violent, fou, meurtrier, voire suicidaire. Ces jeux sont donc dits funestes et par le nombre sans cesse croissant d’adeptes, les joueurs; le jeu de rôle se confond à une épidémie ou une drogue. Par cette vision enracinée dans des esprits, les jeux de rôle ne peuvent être que condamnables.
Mais d’où peut provenir cette vision négative si ce n’est des médias. Ceux-ci en effet, affirme fortement, condamne facilement, mais n’amènent pas les gens à s’informer et surtout ne mesure pas les conséquences de leurs faits. Tel que ce fut le cas du reportage de Zone Interdite de mai 1995, qui dans l’esprit de Françoise GIROUD, reporter au Nouvel Observateur, a semé des idées fausses : sur les effets du jeu de rôle en France (épidémie mortelle), sur le rôle du maître de jeu (manipulateur pervers) et sur ce qu’est le jeu de rôle (un support de secte). Par sa position au Nouvel Observateur, et par la portée de ce reportage, il va s’en dire que nombreux sont ceux qui ont perçu les jeux de rôle de la même façon que Mme GIROUD, état dont fait part l’article de Casus Belli, de février-mars 1995. Toujours dans ce même article, une autre conséquence de cette alarme vite sonnée est donnée : des joueurs sont traités d’assassins.
Autre émission : Témoin n°1 du 20 mai 1994 véhiculait là aussi des idées fausses par un stratagème pernicieux : la présence d’un psychiatre peu compétent ce que le magazine Casus Belli, spécialisé jeux de rôle, dans un article d’août-septembre 1994 démontre. Les journaux aussi sont de mise, tel l’article du Parisien du 10 mai dernier, sur l’agression au couteau d’un professeur par un élève le fait voir, jouant sur le sensationnel et l’exagération : « Je suis le prince des ténèbres », il s’agissait d’un couteau de boucher, il a fallu en plus des camarades du jeune en question, d’autres élèves et des professeurs pour l’arrêter, le professeur s’en sort avec sept points de sutures et le journal continue de surenchérir sur ce qui aurait pu arriver avec des et si…
Si perversité il y a, c’est bien dans l’utilisation de ce phénomène de passion que connait la France pour le jeu de rôle. Passion qui se développe sûrement trop rapidement, avec un succès trop vif, pour une génération moins axée que la nôtre sur une maîtrise et une assimilation rapide des techniques pointues (cf. l’informatique) ou de tout ce qui est nouveau. C’est la méconnaissance et peut-être la peur d’être dépassés qui poussent ces médias à tirer l’alarme. On voit que ces médias font preuve de mauvaise foi, jouent sur le sensationnel, l’extrême, ne montrent que ce qui est en accord avec leurs idées préconçues, donnent dans l’apocalyptique et cherchent surtout à alarmer plutôt que d’informer, de comprendre, de pousser les gens à rechercher la vérité sur ce qu’est le jeu de rôle. Ils font tout l’inverse de ce pourquoi ils sont faits. Peu sont les articles comme celui du Point du 20 mai dernier avec une vision objective qui cherche à éduquer et non manipuler.
On peut donc voir que la confusion est totale sur le jeu de rôle, il faut donc plus que jamais continuer à faire de l’information, juste.

De quoi est accusé le jeu de rôle ?

Il faut tout d’abord clarifier les idées reçues en ce qui concerne le rôle du maître de jeu. Beaucoup s’imaginent que les joueurs le considèrent comme un grand gourou auquel ils doivent obéir à tout prix.
Or, il ne s’agit que d’un joueur ayant une tâche différente des autres. Il n’est pas à la même place qu’eux, et son rôle ne consiste qu’à interpréter les règles, comme un arbitre, et à décrire les situations qui évoluent au cours du jeu. Comment pourrait-il influencer les joueurs ? Il ne peut les forcer à faire ce qu’il désire, ils sont libres de leurs actes et si ces actes sont douteux, morbides ou violents, ce sont eux les seuls responsables. S’il pouvait provoquer les actions des joueurs, le jeu n’aurait plus aucun intérêt, car il ne s’agit pas d’une pièce de théâtre où tout est fixé, mais d’un jeu interactif.
De plus, on se rend compte que la grande majorité des pratiquants cherchent à découvrir les deux côtés de l’écran (qui sert à séparer les joueurs du meneur lors d’une partie). Et de ce fait, il est impossible de s’enfermer dans un rôle dominateur ou dominé, ce que certains imaginent à tort.
De nombreux articles parus récemment témoignent de faits divers dramatiques touchant des pratiquants de jeux de rôle.
Un adolescent a poignardé son professeur de physique et comme l’expliquent les articles de Michel PEYRARD et Catherine TABOUIS, extrait de Paris Match, on s’aperçoit qu’il vivait dans un monde à part, à la frontière entre le réel et l’imaginaire. En effet, il prenait son professeur pour un orc et s’imaginait être le « roi Aragorn » qui lui permit de transposer son crime dans le monde réel, grâce à de bons jets de dés ! Mais deux choses importantes sont à considérer. D’une part, il ne jouait plus aux jeux du commerce et avait créé des jeux qui n’avaient plus aucune frontière temporelle ou spatiale avec la réalité. D’autre part, une personne saine d’esprit se contenterait-elle de cela pour devenir un assassin ?
Le cas d’un jeune homme qui s’est suicidé car il l’avait « tiré aux dés » ne peut pas rendre le jeu de rôle responsable, car si cela était vrai, on pourrait déplorer des centaines de suicides. Marie-Thérèse GUICHARD résume l’erreur à ne pas commettre en écrivant dans un article du Point qu’il « est hasardeux d’incriminer le jeu de rôle » car « c’est comme si, face à un braqueur de banque, on accusait le Monopoly dont il est friand d’être à l’origine du délit ».
Un autre jeune qui s’est vraisemblablement suicidé avec un pistolet à grenaille, à moins que ses camarades ne l’aient aidé, ce qui n’a pu être prouvé, jouait aussi au jeu de rôle. On remarque encore, comme le souligne Didier GUISERIX dans un article de Casus Belli de septembre 1994, que Christophe MALTESE avait créé ses propres jeux, et qu’il ne faut pas généraliser le problème d’un jeune à des centaines de milliers de joueurs. En fait, on ne peut certainement pas accuser le jeu de rôle d’être plus violent que la télévision ou le cinéma. On ne peut pas dire non plus qu’il empêche la distinction entre son rôle et soi-même plus que pour les acteurs qui eux, ont un rôle déterminé sur lequel ils n’ont pas de liberté.
Les gens pensent que le jeu de rôle influence ses participants parce qu’ils sont influençables. Ils croient d’une part que les jeunes sont tous en pleine crise de personnalité, et d’autre part que l’activité qu’ils pratiquent intervient directement dans le développement de névroses ou différents problèmes psychologiques.
Pourquoi seraient-ils influençables ? S’ils le sont effectivement, c’est soit dans leur nature, soit du fait qu’ils sont à la recherche de leur identité. Et il est évident que l’on ne peut se permettre de généraliser de manière injustifiée à l’ensemble des pratiquants.
Comment pourraient-ils être manipulés en pratiquant une activité telle que le jeu de rôle ? On pourrait supposer qu’ils n’ont aucune liberté et que leurs choix sont imposés par le meneur de jeu ou d’après le jeu lui-même. Or, les joueurs sont totalement maîtres des actes de leurs personnages, ils n’ont aucune autre obligation que de suivre les règles de gestion du jeu auquel ils jouent et qu’ils ont eux-mêmes choisi. A ce sujet, il est intéressant de remarquer que certains joueurs tentant d’incarner différents types de personnages, au fur et à mesure de leur pratique, finissent par jouer le même style de personnalité qui leur est propre. En effet, il est intéressant de diversifier les rôle, mais on préfère jouer un personnage qui nous ressemble. Donc, si le jeu de rôle est utilisé par une personne à la recherche d’elle-même, elle s’affirmera tôt ou tard et sa personnalité prendra toujours le dessus.
Les problèmes psychologiques ne peuvent en aucun cas être créés par le jeu de rôle puisque leur esprit n’est pas manipulable par celui-ci. Par exemple, la frustration d’un échec virtuel dans un jeu est sans conteste négligeable face à un problème réel. Et la représentation dans l’esprit d’éventuelles scènes choquantes ou traumatisantes n’est rien en comparaison avec la violence des films que l’on peut voir à la télévision ou au cinéma. La visualisation est par ailleurs plus précise et c’est elle seule qui permet de se représenter mentalement des scènes dans un jeu de rôle.
Enfin, on ne peut attribuer aux jeux de rôle le fait de développer un imaginaire malsain, violent ou morbide car on ne développe que l’imaginaire que l’on souhaite. S’il est bizarre, on ne peut se poser des questions que sur le joueur lui-même.

La réelle origine et les solutions des problèmes

Le cas de Sébastien, l’adolescent ayant tenté de tuer son professeur, permet aisément en déduire qu’il avait déjà des problèmes et que le jeu de rôle n’a été pour lui qu’un vecteur à son crime. Les articles issus du Parisien expliquent qu’il se trouvait dans un état second et que quelques heures après, il souhaitait même reprendre les cours. Toute autre activité l’aurait mené à un point problématique de son trouble de la personnalité au bout d’un certain temps. Pour les jeux de rôle, il faut faire attention dès qu’une implication physique a lieu dans le réel car il n’y a plus aucune distinction avec celui-ci, sauf en ce qui concerne les jeux en grandeur nature qui sont organisés dans ce but et bien encadrés.
De plus, il est intéressant de remarquer que tout à l’excès pose problème. Une pratique trop importante tant par sa durée que par sa fréquence, une activité exclusive à laquelle on pense tout le temps ne peut que favoriser l’isolement du reste du monde. Une obsession du jeu de rôle est toute aussi néfaste et on peut s’en rendre compte assez facilement. Quand une personne accorde beaucoup trop d’importance au jeu, elle préfère souvent l’imaginaire à la réalité de laquelle elle se détache progressivement. L’univers du jeu de rôle lui semble plus facile, plus beau, et le réel n’a plus d’importance car il représente toutes les difficultés auxquelles elle doit faire face. Quelle que ce soit l’origine des problèmes de celui qui s’isole dans l’imaginaire, si des tendances suicidaires ou névrotiques sont nées en lui, ceci se ressent aisément dans son entourage.
Les parents du Christophe MALTESE, dans une interview extraite du Casus Belli de janvier 1995, expliquent qu’il ne faut pas accuser le jeu de rôle mais qu’il peut même révéler l’état psychologique des joueurs, si l’on prend la peine de discuter avec eux. Le manque de discussion entre les jeunes et leurs parents est l’une des causes de chacun des drames. Et dans tous les cas, il est essentiel de « s’intéresser » à leur activité, « ni en agissant comme si de rien n’était, ni en les laissant influer de manière négative sur le jeu ».
Il ne faut certainement pas s’inquiéter outre mesure, car encore une fois, des cas rarissimes et isolés de jeunes ayant des problèmes n’ont rien en commun avec celui des autres joueurs. Ils ont une vie tout à fait normale, un travail, des études, des amis et petites amies, une famille, et aucune névrose psychotique !
Le jeu de rôle étant méconnu et le plus souvent présenté de manière négative, les gens en viennent à croire qu’il peut engendrer la folie des pratiquants par une influence néfaste. Or, il est clair qu’il ne peut être la cause d’une telle chose, mais certains jeunes ont de réelles difficultés dans la vie et la discussion, négligée par la plupart, reste un moyen efficace de les repérer à temps.
Intéressons nous maintenant aux « plus » des jeux de rôle, à leur utilité et au plaisir qu’ils procurent.

Ce qu’apporte le jeu de rôle

La thérapie : une influence positive

Dans le cadre du jeu à but professionnel, c’est ici qu’il y a recherche de l’influence du jeu de rôle car elle est positive sur les personnalités. Comme le traduit cet exemple cité dans Les jeux de rôle de MUCCHIELLI : un couple dont la femme est actrice joue au théâtre sans cesse des personnages angéliques est tout l’opposé dans la vie quotidienne avec son mari, (querelleuse, vulgaire, violente), Jacob LEVY, inventeur du jeu de rôle thérapeutique, les invite à monter tous les deux sur scène et demande à la femme de jouer un rôle à l’opposé des femmes honorables qu’elle représente d’habitude, ce qu’elle fait à merveille interprétant sa propre personnalité. Cela a eu pour conséquences de tempérer ses accès de colère envers son mari en dehors de la scène, les limiter, et même d’en rire avant qu’ils ne se déclenchent, les scènes du même type qu’elle a joué lui revenant en mémoire. Le couple s’en est trouvé plus soudé, plus complice jouant désormais ensemble des scènes de leur vie quotidienne.
Le jeu a été ici un moyen de défoulement pour cette femme et la mise en scène de son personnage violent et grossier la débarrassait de ce rôle dans sa vie. L’effet thérapeutique vient aussi de la prise de conscience de son propre comportement par cette femme. En effet, le côté répétitif, stéréotypé de ses colères et de leur déclenchement automatique lui apparaît si bien qu’elle « voit venir » son scénario et qu’elle en rit. Ce plus du jeu de rôle est connu par les psychothérapeutes d’où l’utilisation de ce genre de jeux dans le but de soigner des blocages comportementaux. Mais ce bénéfice « d’ouverture de soi » n’est pas propre au jeu de rôle thérapeutique, il est aussi l’un des bénéfices du jeu de rôle ludique.

De nombreux bénéfices

L’univers du jeu de rôle n’est pas un univers clos. Il est ouvert sur de nombreux domaines tels que les bandes dessinées, les livres de toutes sortes, ou le cinéma. Tout ceci sert à l’inspiration, mais est parfois inspiré des jeux de rôle. On peut ajouter que des salons, des manifestations, et des rencontres, sont organisés autour de ce thème. Les gens s’y intéressent de plus en plus et un grand nombre de nouveaux jeux et loisirs ont été créés en relation avec cette activité.
Outre le moyen de « se défouler » entre amis, la pratique de ces jeux donne aux gens la possibilité de s’exprimer, de s’extérioriser, et même d’affirmer leur personnalité à travers les personnages incarnés qui leur ressemblent toujours un peu. D’autre part, le fait de jouer des personnages très différents est aussi profitable, comme un acteur qui change de registre, et l’on en aura que plus de plaisir à revenir à notre type de personnage favori. Ils sont de plus obligés de faire des efforts d’interprétation et d’élocution s’ils veulent progresser ou profiter d’une partie. Il est aussi important de remarquer que les confrontations avec des situations que l’on peut rencontrer dans la réalité apprennent à s’adapter à toutes les situations, et à s’intéresser à tout. Il peut souvent s’agir d’un entraînement au réel que très peu d’activités offrent.
Et sachant que les inspirations ou scénarios nécessaires à la préparation des aventures sont la plupart du temps d’origine américaine, ils ne sont pas toujours traduits et l’on en vient à travailler notre anglais en joignant l’utile à l’agréable.
Dans un souci de réalisme, et pour mieux apprécier le jeu de rôle, les joueurs et le meneur de jeu doivent penser à tous les détails d’une aventure. Ceci développe en eux un sens de la logique, un raisonnement clair et une créativité importante. L’imagination permet alors de pénétrer dans un monde jamais très différent de la réalité.

Le plaisir du jeu

Après tout ce qui a été dit, toute cette tentative de crédibilisation du jeu de rôle, on peut être amené à oublier que le jeu de rôle n’est rien d’autre qu’un jeu, un jeu superbe où on a la chance de se retrouver entre amis, donc parmi les gens que l’on aime, de discuter avec eux, de ne pas perdre les contacts lorsqu’on sait que l’on choisit des voies qui ne sont pas forcément similaires et surtout de s’amuser sinon on ne classerait ces jeux dans le secteur ludique.
Si ce type de jeu plutôt qu’un autre connait du succès, jeu, il faut le préciser, qui se destine au minimum a des adolescents, c’est a mon avis parce que l’amusement procuré est proche de celui que l’on avait étant petit, celui que l’on obtenait en mettant en jeu des situations imaginaires, consciemment ou non le lien est là. Avec l’âge, le poids des responsabilités et la fin des rêves imposés par le monde adulte, ce qu’est le jeu de rôle : c’est la permission de rêver pour adultes dans un monde d’adultes.
Mais la différence avec les jeux pour enfants réside dans la fin de la partie avec la critique amenée par chacun sur le jeu développée où sont évoquée l’intérêt suscité, les apports reçus, les sentiments, les impressions ressenties à tel ou tel instant, finalement la joie passée ensemble.
Le jeu de rôle est donc tout d’abord un jeu dont on peut retirer de nombreux bénéfices et qui, s’il est utilisé dans un but thérapeutique, n’apporte que des influences positives.

Conclusion

Comme nous avons pu le voir, le jeu de rôle revêt des aspects multiples et donc des utilités multiples. Pourtant, il est la cible des médias qui profitent de la méconnaissance de cette pratique pour véhiculer des idées reçues. Mais les influences néfastes dont on l’accuse n’ont absolument pas lieu d’être car il est clair que les problèmes associés au jeu de rôle ont en fait une origine antérieure. De plus, on se rend compte que cette activité est à l’origine d’influences positives sur le comportement, par l’aspect thérapeutique offert et qu’elle procure de nombreuses satisfactions personnelles.
On ne saurait trop conseiller à tous ceux qui veulent se faire une opinion de s’informer auprès de personnes compétentes afin d’éviter de donner foi à une généralisation facile et inexacte. Le fait de jouer serait certainement la meilleure solution pour comprendre ce qu’est réellement le jeu de rôle.

Bibliographie

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  • GUISERIX D., Le jeu de rôle mis en cause, Casus Belli, août-septembre 1994.
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  • GUISERIX D., Coup monté contre le jeu de rôle, Casus Belli, février-mars 1995.
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  • PACULL J-L., Un prof poignardé en plein cours, Le Parisien, 10 mai 1995.
  • PACULL J-L., Le lycéen d’Istres a prémédité son agression, Le Parisien, 11 mai 1995.
  • PEYRARD M. & TABOUIS C., Pas drôle ces jeux de rôle, Paris Match, 25 mai 1995.